2.4. Espaces de Sobolev#

2.4.1. Espace \(\Lo\)#

Rappelons que l’espace \(\Lo\) est l’espace des fonctions de carré mesurable (au sens de Lebesgue). Muni du produit scalaire

\[\PSL{f}{g} = \int_{\Omega} f(\xx)g(\xx)\diff \xx,\]

l’espace \(\Lo\) est un espace de Hilbert, de norme induite :

\[\normL{f} = \left(\int_{\Omega} \abs{f(\xx)}^2\diff \xx\right)^{\frac{1}{2}}.\]

Il est important de remarquer qu’une fonction de \(\Lo\) est définie presque partout. Autrement dit, deux fonctions \(f\) et \(g\) de \(\Lo\) peuvent être égales tout en ayant des valeurs différentes sur un sous-ensemble \(\omega\) de \(\Omega\), de mesure nulle. Une fonction de \(\Lo\) désigne en réalité une classe de fonctions.

Introduisons l’espace \(\Cscr^{\infty}_c(\Omega)\) des fonctions \(\Cscr^{\infty}\) sur \(\Omega\) à support compact dans \(\Omega\) :

\[\Cscr^{\infty}_c(\Omega) := \enstq{f\in \Cscr^{\infty}(\Omega)}{\supp(f) \text{ est compact dans } \Omega}.\]

Remark 2.9

  • Ces fonctions (et toutes leurs dérivées) s’annulent nécesairement sur le bord de \(\Omega\) (qui est ouvert)

  • Dans notre cas, \(\Omega\in\Rb^2\) (ou même \(\Rb^3\)), ce qui impliqué qu’un compact de \(\Omega\) est donc un fermé borné - Un exemple d’une telle fonction est la fonction « blob » comme illustré par l’article Wikipédia

Nous rappelons/admettons le théorème de densité suivant.

Theorem 2.3 (Densité dans \(\Lo\))

L’ensemble \(\Cscr^{\infty}_c(\Omega)\) est dense dans \(\Lo\).

Autrement dit, pour tout élément \(f\) de \(\Lo\), il existe une suite \((f_n)_n\) de fonctions de \(\Cscr^{\infty}_c(\Omega)\) qui converge vers \(f\) pour la norme de \(\Lo\). Ce théorème est extrêmement important : pour démontrer des propriétés de \(\Lo\), nous utiliserons des propriétés de \(\Cscr^{\infty}_c(\Omega)\) et passerons à la limite dans \(\Lo\).

Corollary 2.1

Soit \(f\) une fonction de \(\Lo\) telle que

\[\forall \phi \in \Cscr^{\infty}_c(\Omega),\qquad \int_{\Omega} f(\xx)\phi(\xx) \diff\xx= \PSL{f}{\phi} = 0,\]

alors \(f(\xx)=0\) presque partout dans \(\Omega\).

Proof. D’après le théorème 2.3, il existe une suite \((f_n)_n\) de \(\Cscr^{\infty}_c(\Omega)\) qui converge vers \(f\). Nous avons alors

\[0 = \lim_{n\to \infty}\int_{\Omega} f(\xx)f_n(\xx) \diff\xx= \int_{\Omega}\abs{f(\xx)}^2\diff\xx = \normL{f}^2,\]

d’où \(f\) est nulle « au sens de » \(\Lo\), c’est-à-dire que \(f(\xx)=0\) presque partout.

L’espace \(\Lo\) est un « petit » espace de Hilbert qui contient \(\Cscr^1(\Omega)\). Nous nous rapprochons du but… Cependant les fonctions de \(\Lo\) ne sont pas dérivables ! Elles ne sont donc pas utilisables en pratique dans les formulations faibles. C’est tout l’objet de la section suivante : proposer une nouvelle forme de dérivation plus faible, c’est-à-dire ici, qui ne requiert pas de continuité.

2.4.2. Dérivée faible#

Definition 2.6

Une fonction de \(\Lo\) est dérivable au sens faible par rapport à la direction \(x_i\) si et seulement si il existe un élément \(g_i\) de \(\Lo\) tel que

\[\forall \phi \in \Cscr^{\infty}_c(\Omega),\quad \int_{\Omega} f(\xx) \partial_{x_i} \phi(\xx)\diff\xx =- \int_{\Omega} g_i(\xx) \phi(\xx)\diff\xx.\]

Nous notons alors \(g_i = \partial_{x_i}f =\partial_{_i}f\), qui est unique en vertu du Corollaire 2.1.

Nous noterons maintenant \(\partial_{x_i} f \in \Lo\) ou \(\partial_{i} f \in \Lo\) pour signifier que \(f\) est dérivable au sens faible par rapport à \(x_i\). De la même manière, nous pouvons définir le gradient faible :

Definition 2.7

Une fonction \(f\in \Lo\) admet un gradient faible, noté \(\nabla f\), si et seulement si \(f\) est dérivable au sens faible par rapport à toutes ses variables, et nous avons alors

\[\nabla f = \left(\partial_{x_1}f, \partial_{x_2}f, \ldots, \partial_{x_d}f\right)^T.\]

Proposition 2.2 (Unicité de la dérivée faible)

Si la dérivée faible dans la direction \(x_i\) d’une fonction \(u\in\Lo\) existe alors elle est unique.

Proof. Soit \(u\in\Lo\) et supposons que \(u\) admette deux dérivées faibles dans la direction \(x_i\) : \(f_i\) et \(g_i\), toutes deux dans \(\Lo\). Nous avons alors, par définition, les deux relations suivantes :

\[\forall \phi \in \Cscr^{\infty}_c(\Omega), -\int_{\Omega} u(\xx) \partial_{i} \phi(\xx) = \int_{\Omega} f_i(\xx) \phi(\xx)\diff\xx = \int_{\Omega} g_i(\xx) \phi(\xx)\diff\xx.\]

Autrement dit, nous avons

\[\forall \phi \in \Cscr^{\infty}_c(\Omega), \qquad \int_{\Omega} (f_i - g_i)(\xx) \phi(\xx)\diff\xx = 0,\]

et le Corollaire 2.1 implique que \(f_i=g_i\).

Le lien entre dérivée faible et dérivée forte (ou classique) est maintenant présenté :

Proposition 2.3

Soit \(u\in\Cscr^1(\overline{\Omega})\) tel que son gradient, au sens classique, \(\nabla u\) soit dans \(\Cscr^0(\overline{\Omega})\), alors \(u\) admet un gradient au sens faible \(\widetilde{\nabla} u\) et l’on a \(\nabla u = \widetilde{\nabla} u\).

Proof. Il suffit de montrer ce résultat pour une direction uniquement, c’est-à-dire montrer que \(\widetilde{\partial_{i}}u = \partial_{i} u\), si \(\widetilde{\partial_{i}}\) est la dérivée partielle au sens faible. Par intégration par partie, nous avons :

\[\forall \phi \in \Cscr^{\infty}_c(\Omega), \qquad \int_{\Omega} \partial_{i} u(\xx) \phi(\xx) \diff\xx= -\int_{\Omega} u(\xx) \partial_{i} \phi(\xx)\diff\xx + \int_{\partial\Omega} u(\xx) \phi(\xx) n_i(\xx) \diff s(\xx),\]

\(n_i\) est la \(i^{\text{ème}}\) composante du vecteur normale \(\nn\). Comme \(\phi\) est à support compact dans \(\Omega\), nous savons que \(\phi\) s’annule sur le bord de \(\Omega\). Il vient donc

\[\forall \phi \in \Cscr^{\infty}_c(\Omega), \qquad \int_{\Omega} \partial_{i} u(\xx) \phi(\xx) \diff\xx= -\int_{\Omega} u(\xx) \partial_{i} \phi(\xx)\diff\xx,\]

Autrement dit \(u\) admet une dérivée faible. Celle-ci étant unique, nous avons bien \(\partial_{i} u = \widetilde{\partial}_{i} u\).

Remark 2.10

Dans la suite, puisque nous ne travaillerons qu’avec des dérivées partielles faibles, nous omettrons le tilde.

2.4.3. Espace de Sobolev \(\Ho\)#

Nous disposons maintenant des outils nécessaires pour introduire l’espace de Sobolev \(H^1(\Omega)\) des fonctions de carré intégrable et dérivables au sens faible dans chaque direction (\(d=2,3\) est la dimension) :

\[H^1(\Omega) = \enstq{u\in \Lo}{\nabla u \in (\Lo)^d}.\]

Nous munissons cet espace du produit scalaire suivant (pour \(u\) et \(v\) dans \(\Ho\))

\[\PSH{u}{v} = \int_{\Omega} u(\xx)v(\xx) \;\diff\xx +\int_{\Omega} \nabla u(\xx) \cdot \nabla v(\xx) \;\diff\xx,\]

et de la norme induite, pour \(u\in\Ho\) :

\[\normH{u} = \left( \int_{\Omega} |u(\xx)|^2 \;\diff\xx + \int_{\Omega} |\nabla u(\xx)|^2\;\diff\xx \right)^{\frac{1}{2}}.\]

Remark 2.11

Nous pouvons montrer que c’est effectivement un produit scalaire avec les arguments similaires à ceux utilisés pour montrer que la « même » application est un produit scalaire sur \(\Cscr^1(\Omega)\).

Remark 2.12

Pour \(u\) de \(\Ho\), nous avons clairement

\[\begin{split}\begin{aligned} \normH{u}^2 & = \normL{u}^2 + \sum_{i=1}^d\normL{\partial_{i} u}^2\\ &= \normL{u}^2 + \normLd{\nabla u}^2, \end{aligned}\end{split}\]

et donc les inégalités suivantes :

  1. \(\normH{u} \geq \normL{u}\)

  2. \(\normH{u} \geq \normLd{\nabla u} = \left(\sum_{i=1}^d\normL{\partial_i u}^2\right)^{1/2}\)

  3. \(\normH{u} \geq \normL{\partial_i u} \qquad \forall i=1,2,\ldots, d\)

Nous montrons maintenant que \(\Ho\) muni de cette norme est complet.

Theorem 2.4 (Complétude de \(\Ho\))

L’espace \(H^1(\Omega)\) est complet pour la norme \(\normH{\cdot}\).

Proof. Prenons une suite de Cauchy \((u_n)_n\) de \(H^1(\Omega)\) et montrons qu’elle converge dans \(H^1(\Omega)\). Par définition de la suite de Cauchy, nous avons

\[\forall \varepsilon > 0,\exists N>0\text{ tel que }\forall n > N, \forall p>N, \quad \normH{u_n-u_p}\leq \varepsilon.\]

Par ailleurs, pour \(n,p\) de \(\Nb\) l’inégalité suivante est vérifiée :

\[\normL{u_n - u_p}\leq \normH{u_n - u_p},\]

ce qui fait de la suite \((u_n)_n\) une suite de Cauchy dans \(\Lo\), puisque :

\[\forall \varepsilon > 0,\exists N>0\text{ tel que }\forall n > N, \forall p>N, \quad \normL{u_n - u_p}\leq \normH{u_n-u_p}\leq \varepsilon.\]

L’espace \(\Lo\) étant complet, la suite \((u_n)_n\) converge dans \(\Lo\) vers \(u\in \Lo\). Nous appliquons le même raisonnement aux dérivées partielles : pour \(i= 1,\ldots, d\), nous avons aussi

\[\normL{\partial_i u_n - \partial_i u_p}\leq \normH{u_n - u_p}.\]

Ainsi, pour tout \(i\), la suite \((\partial_i u_n)_n\) est aussi de Cauchy dans \(\Lo\) et converge donc vers un élément \(f_i\in \Lo\). Il nous faut donc montrer que \(u\) est dérivable (au sens faible) et que \(f_i = \partial_i u\). Remarquons pour cela que, par définition,

\[\forall \phi\in \Cscr^{\infty}_c(\Omega),\qquad \int_{\Omega}\partial_i u_n (\xx)\phi(\xx) \diff\xx= -\int_{\Omega} u_n(\xx) \partial_i \phi(\xx)\diff\xx.\]

En passant à la limite dans \(\Lo\) dans cette expression, il vient que :

\[\forall \phi\in \Cscr^{\infty}_c(\Omega),\qquad \int_{\Omega} f_i (\xx)\phi(\xx) \diff\xx= -\int_{\Omega} u(\xx) \partial_i \phi(\xx)\diff\xx.\]

Autrement dit, \(u\) est dérivable par rapport à toutes ses variables et \(\partial_i u = f_i\), ce qui implique que \(u\) est bien dans \(H^1(\Omega)\). Nous avons donc montré que la suite \((u_n)_n\) converge dans \(\Lo\) vers un élément \(u\) de \(\Ho\). Il nous reste à montrer que cette convergence est toujours valable pour la norme de \(\Ho\). Utilisons la remarque précédente pour décomposer la norme dans \(\Ho\) :

\[\normH{u_n - u}^2 = \normL{u_n - u}^2 + \sum_{j=1}^d \normL{\partial_{j} u_n - \partial_{j} u}^2 \to 0 (n \to +\infty).\]

La suite de Cauchy \((u_n)_n\) est donc convergente dans \(H^1(\Omega)\), ce dernier est donc complet.

Nous en déduisons le corollaire suivant:

Corollary 2.2

\(H^1(\Omega)\) est un espace de Hilbert pour le produit scalaire \(\PSH{\cdot}{\cdot}\).

Nous avons également le résultat de densité suivant

Proposition 2.4 (Admis)

L’espace \(\Cscr^{\infty}_c(\Omega)\) est dense dans \(H^1(\Omega)\) pour la norme \(\normH{\cdot}\).

En particulier, l’espace \(\Cscr^{1}(\Omega)\), qui contient \(\Cscr^{\infty}_c(\Omega)\), est dense dans \(H^1(\Omega)\) pour la norme \(\normH{\cdot}\). Ce résultat nous dit que \(H^1(\Omega)\) est le « plus petit » espace complet contenant \(\Cscr^{1}(\Omega)\) : c’est ce que nous cherchions !